Académique > La classe politique et les études commerciales
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Les étudiants des écoles de commerce n’ont jamais rechigné à se lancer dans le grand bain de la politique, au niveau local comme national. Pourtant, on observe ces dernières années un accroissement du nombre d’alumni dans la sphère politique. Cela soulève une question d’ordre quantitatif : quelle présence des anciens des sup de co dans la politique française ?
Les députés des écoles de commerce
Tout sociologue politique vous le dira : les Instituts d’études politiques fournissent une partie importante de notre classe politique. Les gouvernements en regorgent : en février 2020, sur les 11 ministres les plus élevés dans l’ordre du protocole, trois ont fait l’IEP Paris et deux ont fait l’IEP Lille ; en plus de cela, Jean-Michel Blanquer (IEP Paris, droit public, philo, agrégé) a enseigné le droit constitutionnel à l’IEP Lille. La seule ministre ayant suivi des études commerciales est Amélie de Montchalin (HEC), dernière du protocole. Pierre Bourdieu, dans son ouvrage fondateur La Noblesse d’Etat, explique ce phénomène par une division du monde social en « champs » ; les étudiants des grandes écoles de commerce fournissant les cadres supérieures économiques du pays, ils n’investissent que rarement les deux autres pôles du pouvoir, à savoir le pôle politique (IEP, droit) et culturel (ENS, agrégations).
Est-ce pour autant que les alumni des écoles de commerce sont invisibles en politique ? Que nenni ! S’il est vrai que les portes du gouvernement restent souvent fermées aux profils issus des écoles de commerce, l’Assemblée nationale en accueille beaucoup. Sur les 577 députés de la législature 2017 – 2022, 46 ont fait une école de commerce (dont 10 HEC et 6 l'ESSEC) ; 7 ont fait une IAE. Il y a ainsi plus d'anciens des IAE que des Écoles normales supérieures au Palais-Bourbon. Les études commerciales sont les plus répandues parmi les députés du centre (LREM, MoDem) et la droite (LR, divers droite), comptant pour 10% et 9% des élus respectivement. On ne trouve pas un seul ancien dans les autres groupes politiques, alors que les étudiants des IEP sont répartis plutôt harmonieusement.
La question mérite toutefois que l’on se projette dans le passé. Luc Rouban, du Centre d’études sur la vie politique française, montre dans une étude en 2012 la dynamique des anciens des écoles de commerce à l’Assemblée. Ils stagnent entre 2 et 3 % de l’effectif entre 1958 et 1968, puis chutent à 1,6 % en 1978, tandis que l'ENA connaît son sommet (6,7%). À partir de 1978, l'augmentation sera continue jusqu'en 2002 : de 1,9 % en 1981, on passe à 3,6 % en 1993, puis à 4,9 % en 1997 lors de la victoire de la gauche plurielle. Le chiffre atteint son sommet, 5,5 %, en 2002, avant de rechuter à 4,8 % en 2007. La vague macroniste de 2017 confirme cet élan et renforce le poids des formations en management.
Être ministre quand on a étudié en école de commerce
Une étude menée par Recto Versoi sur l'ensemble des ministres de la Vème République montre que 9 % des ministres proviennent des écoles de commerce, dont 6 % du trio HEC-ESSEC-ESCP. Les auteurs remarquent que ces diplômés représentent 12 % des ministres des gouvernements de la droite et du centre, contre 4,2 % de la gauche. Lorsqu’un ministre est diplômé d’une sup de co, il est deux fois plus souvent un homme qu’une femme.
Les anciens des écoles de commerce ne sont pas nécessairement là où on penserait les trouver. Sur les 35 titulaires du poste de ministre ou secrétaire d’État au commerce, seuls quatre ont étudié en école de commerce : Frank Riester (ESSEC) ; Fleur Pellerin (ESSEC) ; Dominique Strauss-Kahn (HEC) ; Édith Cresson (HEC). On en trouve aussi à la tête de l’Économie et des Finances : Arnaud Montebourg, qui a intégré l’INSEAD en 2014 ; François Baroin, de l’ISG ; et Jean Arthuis, d’Audencia.
C’est presque autant, sur la même période, qu’au ministère du Travail (Muriel Pénicaud, INSEAD ; Éric Woerth, HEC ; Joseph Fontanet, HEC), et qu’au Ministère de l’Écologie (Nelly Olin, ESC Paris ; Serge Lepeltier, HEC ; Michel Barnier, ESCP). On trouve deux anciens aux Affaires étrangères (Barnier, à nouveau, et Hervé de Charette, HEC), un à l’Intérieur (François Baroin, ISG Paris), un à la Justice (Rachida Dati, HEC) et un à l’Éducation nationale (Joseph Fontanet, HEC). Il n’y a aucun diplômé d’école de commerce à la Défense, ministère généralement occupé par des diplômés du trio droit – IEP – ENA.
Les écoles de commerce et la politique dans le futur
Ce que l’étude détaillée de la composition des grandes instances politiques par formation nous montre, c’est que si les anciens des écoles de commerce ne sont pas majoritaires ni même une grande minorité, ils restent une minorité importante ; en plus de cela, leur poids relatif s’accroît. Ce mouvement est parallèle à la dynamique positive enclenchée depuis la fin des années 1990, qui voient un accroissement de la proportion de hauts fonctionnaires passés par les bancs des grandes écoles de commerce.